Vérifier les faits et réfuter au besoin c’est bien, éduquer pour rendre les internautes autonomes dans leur appréciation de ce qui est fiable (ou pas) c’est mieux!

Cet article présente le texte (augmenté entretemps) préparé pour la 4ème chronique « Des faits, pas des fakes! » pour l’émission Empreinte digitale (RTBF).

Sommaire
Debunking? Fact checking? Késako?
Combattre l’impact des infox par cette approche du debunking : une bonne idée?
Devenir autonome dans l’appréciation de ce qui est fiable
Les groupes Hoaxbuster et Zététique sur Facebook : des lieux de co-construction du savoir
L’important est de donner des outils et de transmettre une démarche

Debunking? Fact checking? Késako?

 

Le fact checking, apparenté au debunking, ou débunkage, en français vérification des faits ou réfutation, désigne le fait de vérifier la fiabilité d’informations douteuses qui circulent et, au besoin, d’expliquer en quoi les infox ne sont pas fiables. C’est ce que font des journalistes comme ceux de Factuel de l’AFP, de Check news de Libération ou encore les Décodeurs du Monde, pour n’en citer que quelques-uns. C’est aussi l’approche qu’ont choisie certains youtubeurs, comme Defakator ou Le debunker des étoiles (et d’autres de façon moins systématique). C’est également ce que font les bénévoles du site www.hoax-net.be, et c’est ce qui se fait sous forme de travail d’enquête collaborative sur le groupe Facebook Hoaxbuster lié au site éponyme. L’objectif de toutes ces initiatives, plus ou moins rétribuées ou bénévoles, est donc de vérifier si telle ou telle info qui circule est bien correcte et fiable. Et avec tout le bullshit qui traîne, en particulier sur les réseaux sociaux, il y a du boulot, c’est le moins qu’on puisse dire…

 

Combattre l’impact des infox par cette approche du debunking : une bonne idée?

 

Comme souvent, la réponse est nuancée : oui et non.

Sans rentrer dans les détails du problème du financement des journalistes par exemple par Facebook pour faire ce travail, et sans rentrer dans les considérations de savoir si les journalistes ne devraient pas consacrer leur temps à d’autres sujets, on peut mentionner les limites intrinsèques de cette approche par la réfutation en citant la loi de Brandolini : « La quantité d’énergie nécessaire pour réfuter du baratin est beaucoup plus importante que celle qui a permis de le créer ». Balancer une info non fiable sur le net, que ce soit dans un objectif de manipulation ou non, prend très peu de temps (ça fait d’ailleurs plusieurs années que certains en ont fait leur gagne-pain grâce aux revenus publicitaires, parfois en gérant des dizaines de sites différents), alors que démontrer qu’on est face à des sornettes prendra toujours beaucoup plus de temps et d’énergie (dans les cas où cette réfutation est possible).

Pour donner un exemple en matière de santé publique, faire un article de blog disant que la vaccination provoque l’autisme ou que telle maladie grave peut être soignée uniquement en adaptant son régime alimentaire peut se faire en 15 minutes chrono, mais démontrer que jusqu’à présent aucune étude sérieuse n’a démontré de lien de cause à effet prend beaucoup plus de temps. Et même si vous arrivez à démontrer que les connaissances actuelles ne permettent pas de prouver qu’il y a un lien, ce que vous direz n’aura malheureusement aucun impact sur ceux pour qui c’est a priori une évidence. Le risque est même d’en arriver exactement à l’effet inverse de ce qu’on escomptait : effet boomerang en perspective! Si le sujet est délicat, il y a beaucoup de chances qu’on vous accuse de ne pas maîtriser le sujet ou d’être un mouton, voire un vendu…

Autre limite de ce travail de réfutation : cette dernière sera toujours moins visible que la fausse information, notamment à cause des algorithmes, qui mettent en avant les publications qui génèrent beaucoup d’engagement de la part de l’internaute (liker / commenter / partager). Or évidemment une info sensationnaliste et alarmiste aura toujours un engagement plus fort que son démenti, qui lui est plus posé, plus nuancé, basé non pas sur une approche émotionnelle faisant souvent appel à l’indignation mais sur une approche rationnelle. En deux mots, le démenti sera toujours beaucoup moins extra-ordinaire, donc moins attrape-clics et au final moins visible. Sans compter que la réaction émotionnelle forte face à une infox sensationnaliste laissera toujours une trace en mémoire plus forte que le démenti, dans le cas où celui-ci parvient bien jusqu’à nous. On n’est pas sortis de l’auberge donc…

En résumé, le fact checking et la réfutation sont importants parce qu’ils remettent les pendules à l’heure mais comme on vient de le voir pour différentes raisons l’effet réel reste globalement assez limité. Concernant les journalistes, malheureusement leur travail de réfutation se cantonne encore trop souvent à des infox liées à la politique, autre raison pour laquelle je trouve que ce travail de vérification est insuffisant : dans le baratin qu’on peut trouver sur le net, à côté de la désinformation, qui pour rappel est une manipulation volontaire dans le but de tromper, il ne faut pas oublier l’omniprésence de la mésinformation, c’est-à-dire des informations erronées mais qui sont partagées en toute bonne foi. A la différence de la plupart des journalistes de fact checking, il me semble que la mésinformation est un sujet qui est beaucoup plus souvent abordé par les youtubeurs sceptiques.

 

Devenir autonome dans l’appréciation de ce qui est fiable

 

Pour donner des exemples concrets, c’est une chose de dire que non, contrairement à ce qui circule sur les réseaux sociaux Mélenchon n’a pas de Rolex, mais que peuvent les journalistes de fact checking face à votre tante Françoise qui vous conseille de mettre du persil dans votre vagin pour avancer la date de vos règles et avoir la paix en vacances? Ou face à votre tonton Michel qui vous affirme péremptoirement que le réchauffement climatique actuel est normal, vu l’activité du soleil qui est cyclique? Pas grand’chose!! Le bullshit est partout, donc c’est illusoire de croire que le fact checking règlera le problème à lui tout seul. Ce qu’il faut, au-delà de donner une réponse (c’est vrai, c’est faux ou, comme souvent, c’est entre les deux), c’est transmettre une méthode de vérification à l’internaute. Quand on lit un article de réfutation, quand on regarde la vidéo d’un youtubeur sceptique ou quand on suit une publication sur le groupe Hoaxbuster, on voit comment les autres s’y prennent pour arriver à leur conclusion et ce faisant on apprend une démarche. Parce qu’une autre grosse limite de ce travail de vérification c’est qu’il est impossible pour les journalistes ou les youtubeurs de tout vérifier tout le temps : on peut donc se retrouver face à une info qui n’a pas encore été traitée par des professionnels, et dans ce cas c’est bien de savoir comment s’y prendre pour enquêter soi-même, d’être autonome dans l’évaluation de ce qui est fiable ou non.

Parfois, ce travail d’enquête est assez facile. Dans beaucoup de cas, une simple recherche avec les bons mots-clés sur internet permet de tomber sur des articles qui ont déjà traité l’infox. Mais parfois c’est difficile de savoir quoi en penser. Il y a donc différents niveaux de complexité dans les informations à vérifier : pour certaines la ceinture jaune du krav-médias est suffisante, pour d’autres il faut la ceinture noire! Mais rassurons-nous, la compétence de réception critique des informations est une compétence qui se développe : c’est en forgeant qu’on devient forgeron!

 

Les groupes Hoaxbuster et Zététique sur Facebook :
des lieux de co-construction du savoir

 

Pour les rumeurs et infox grossières, ou en tout cas assez facilement démontables, si la question n’a pas encore été traitée et qu’on ne trouve rien en mettant quelques mots clés dans un moteur de recherche, on peut poser la question sur le groupe Facebook Hoaxbuster. Pour les questions davantage liées à des doutes concernant telle ou telle affirmation qui remet en question des connaissances établies (jusqu’à preuve du contraire, bien sûr) on peut faire la même démarche de co-construction du savoir et de transmission de la méthode mais dans le groupe Zététique.

Le terme « zététique » vient du grec et à l’origine ça voulait dire « celui qui cherche ». Remis au goût du jour par Henri Broch dans les années 80, la zététique est l’étude rationnelle des affirmations extraordinaires. Elle est présentée comme un « art du doute », où ce dernier est un moyen et non une fin en soi, et offre les bases nécessaires à l’exercice d’un esprit critique. Les débuts se sont centré sur l’étude des phénomènes paranormaux. Par exemple on croit qu’il y a un fantôme dans notre maison parce que la nuit on entend les escaliers craquer alors qu’on sait que personne d’autre n’est présent. On peut ne pas aller plus loin et en conclure que c’est la preuve qu’il y a un fantôme qui rôde, ou on peut étudier rationnellement la question et trouver une explication toute simple : la nuit, la température baisse, donc le taux d’humidité augmente et c’est ce qui fait craquer notre escalier en bois. Actuellement le champ d’application de la démarche zététique est beaucoup plus large mais l’idée de base reste la même : avoir une approche rationnelle pour faire le tri dans les affirmations extra-ordinaires en essayant de rester toujours basés sur des faits et en essayant de limiter au maximum l’influence des biais cognitifs qui peuvent nous jouer des tours.

Dans le groupe Zététique, comme dans le groupe Hoaxbuster, on peut donc faire une recherche par mot-clé ou poser sa propre question, si elle n’a pas encore été traitée. En fonction du sujet c’est parfois difficile à suivre, mais les discussions sont souvent passionnantes. Et on peut compter sur l’aide d’internautes qui sont spécialisés dans le domaine, qui vont partager des ressources comme des articles ou des vidéos, qui vont aller faire des recherches dans les publications scientifiques, etc. Attention, là aussi il faut savoir faire le tri dans les commentaires, mais là aussi, le plus intéressant c’est d’apprendre grâce aux autres. On est en plein apprentissage collaboratif, c’est un des côtés merveilleux du net. Comme les membres du groupe sont très nombreux, attention à bien lire la charte avant de commenter ou faire une publication pour s’assurer que notre intervention est constructive.

 

L’important est de donner des outils et de transmettre une démarche

 

Pour conclure, je trouve que le travail de vérification des faits est certes important, mais qu’il est insuffisant : c’est loin d’être la panacée pour faire face efficacement aux sornettes qui circulent sur le net et AFK (away from keyboard : loin du clavier). La seule vraie solution pour combattre le bullshit, qu’il soit volontaire ou non, c’est l’éducation. Dire aux gens ce qui est vrai ou faux ne les aide pas à devenir autonomes dans leur appréciation de ce qui est fiable ou pas : ça met des pansements mais ça ne les vaccine pas contre l’influence néfaste des fausses infos. La solution, c’est de leur transmettre une démarche et de leur donner des outils, ce que j’essaie avec ma page Facebook et ce site de ressources.

Une dernière chose : en tant qu’internaute, nous avons notre pierre à apporter. « Ne soyons pas complices! » On peut commencer par ne pas partager une info juste parce qu’elle nous scandalise : si elle est sensationnaliste et qu’elle peut avoir un impact négatif, alors il faut absolument prendre une demi-seconde de recul et la vérifier avant de la partager. On peut également intervenir auprès de nos connaissances qui sont tombées dans le panneau, en y mettant les formes bien sûr. Un message privé bienveillant aura un impact bien plus constructif qu’un commentaire public disant « tu crois vraiment n’importe quoi ». On se fait tous avoir à un moment donné ou à un autre et c’est tout-à-fait normal. Encore faut-il accepter de s’être trompés et le reconnaître, autrement dit de faire preuve d’humilité intellectuelle. C’est d’ailleurs la remise en question de nos certitudes qui nous permet d’évoluer et qui fait qu’on ne pense pas la même chose qu’il y a 10 ans, et que dans 10 ans on ne sera, c’est à espérer en tout cas, pas le même qu’aujourd’hui!

Je suis persuadée qu’ensemble on peut former une grande rivière de la transmission de la démarche critique. La tâche est énorme et nous avons tous notre petite pierre à apporter : la solution passe par nous tous. Qu’on ait 5 minutes ou une heure à y consacrer, que ce soit tous les jours ou une fois tous les 6 mois, chaque petite intervention est une goutte d’eau qui fait grossir la rivière. Alors hop, on met les mains dans le cambouis!