Le gouvernement fédéral belge, à l’initiative du ministre De Croo, a lancé une consultation citoyenne intitulée « Comment lutter contre les fake news? ». Le nombre limité de caractères ne permettant pas de mettre la totalité de notre texte en ligne sur le site (évidemment, n’hésitez pas à soutenir notre proposition en la « likant » si elle vous paraît digne d’intérêt), nous présentons ici nos propositions de pistes d’action. N’hésitez pas à apporter votre pierre à l’édifice : je lirai avec attention vos remarques et suggestions, ici ou sur la publication Facebook.

Sommaire
Introduction : désinformation versus mésinformation
Propositions
1. Investir dans l’Education aux médias
2. Rappeler les internautes à leurs propres responsabilités
3. Rappeler les journalistes à leurs propres responsabilités
4. Rappeler les politiques à leurs propres responsabilités
5. Rappeler les réseaux sociaux à leurs propres responsabilités
Ecueils à éviter
1. Pas de censure
2. Préservation de l’anonymat sur les réseaux sociaux

 

Introduction : désinformation versus mésinformation
Pour commencer, il faut arrêter de parler de « fake news », qui n’est qu’un euphémisme réducteur de ce dont il s’agit réellement, à savoir de désinformation. Cette manipulation intéressée de l’information concerne non seulement le champ politique mais également les questions de sécurité informatique, les arnaques et autres tentatives de manipulation. Le rapport des experts mandatés par la Commission européenne sur le sujet préconise également l’utilisation du terme « désinformation ».

Ensuite, cette focalisation sur la question de la désinformation camoufle un autre problème, au moins aussi important : celui de la mésinformation, qui désigne une information erronée mais où l’intention de l’émetteur est sincère et où la non-justesse d’une information est due à un manque de rigueur intellectuelle (influence des biais cognitifs, contamination du jugement par les croyances personnelles, etc.) ou méthodologique (pas de vérification suffisante de l’information avant son partage).

Combattre les informations erronées passe donc par la lutte contre ces deux formes d’altération de la vérité et la seule véritable solution à long terme est l’éducation, c’est-à-dire la transmission d’outils permettant à l’internaute de se positionner de façon aussi lucide et autonome que possible dans un débat, sur internet ou dans la vie réelle. D’autres pistes aux effets plus rapides seront également envisagées, mais il est important de se rendre compte que ces pistes ne seront jamais suffisantes en soi.

Propositions
1. Investir dans l’Éducation Aux Médias
L’éducation aux médias est la seule véritable solution puisqu’elle donne des clés aux citoyens pour, entre autres, être autonomes dans leur évaluation de ce qui est fiable ou non. Cette proposition est également centrale dans le rapport des experts mandatés par la Commission européenne sur le sujet. La lutte contre les informations non fiables demande donc de développer les compétences des citoyens en matière d’auto-défense intellectuelle et non pas d’avoir une posture prescriptive ou normative.

C’est pourquoi il nous paraît nécessaire d’introduire des cours d’éducation aux médias et « d’hygiène du jugement » dès l’école primaire et jusqu’à l’enseignement supérieur (notamment dans la formation initiale des enseignants), en passant par les maisons de jeunes et autres lieux de socialisation. D’une part, l’éducation aux médias pour développer ses compétences de réception critique des messages médiatiques et, d’autre part, éducation à l’hygiène du jugement pour contrecarrer la tendance naturelle de notre cerveau à faire des raccourcis (biais cognitifs) et donc nous mener à des conclusions erronées.

A côté de ces compétences liées à la réception, il faut également développer les compétences relatives à l’expression : l’internaute devrait, entre autres, apprendre à distinguer préjugé, opinion et vérité au moment de s’exprimer sur un sujet ; à nuancer ses propos et, surtout, à les argumenter ; à ne pas se laisser avoir par la tentation de la polarisation ; à faire preuve d’humilité intellectuelle et à accepter qu’il arrive qu’on ne maîtrise pas suffisamment certains sujets pour avoir une opinion éclairée (nous ne sommes pas obligés d’avoir un avis sur tout!).

D’un point de vue technique, il faut développer les connaissances des citoyens concernant le fonctionnement du numérique, notamment concernant l’existence et le fonctionnement des algorithmes et concernant la façon de protéger ses données personnelles afin de limiter le profilage et la personnalisation des contenus qui, bien que souvent utile, peut également être utilisée à des fins qui ne sont pas toujours bien intentionnées.

Il est aberrant de constater que plus de deux décennies après l’apparition de l’internet grand public et plus d’une décennie après l’apparition des réseaux sociaux l’éducation aux médias, en particulier numériques, n’a toujours pas sa place dans les programmes de l’enseignement obligatoire…

2. Rappeler les internautes à leurs propres responsabilités
L’engagement personnel des internautes pour la transmission de la démarche critique doit être encouragé : la visibilité des informations non fiables se fait grâce à leur complicité, consciente ou inconsciente. Il faut donc développer notre vigilance et les bonnes pratiques :
-> Montrer l’exemple : face à une information extra-ordinaire aux conséquences potentiellement néfastes, vérifions avant de partager.
-> Intervenir, quand nous avons le temps et l’énergie, afin de sensibiliser nos contacts.

Enfin, s’il faut pouvoir critiquer avec nuance les médias et les contenus qu’ils proposent, il ne faut pas oublier que notre propre consommation nous rend directement responsables de la qualité de ces médias : si nous cliquons systématiquement sur les faits divers sordides, il ne faut pas ensuite s’étonner que ce genre de sujet soit privilégié par les rédactions.

3. Rappeler les journalistes à leurs propres responsabilités
– Subsidier des émissions/chroniques médiatiques de critique des médias (TV, radio et/ou presse écrite) pour transmettre la démarche critique de réception médiatique, tout en insistant sur le fait que les journalistes font généralement de leur mieux, dans un cadre qui souffre de problèmes structurels (comme tout le monde, la plupart des journalistes font souvent de leur mieux avec les moyens dont ils disposent).

– Appeler la presse subsidiée et autres médias professionnels à davantage de rigueur et de déontologie : l’information n’est pas un simple produit de consommation. Le pouvoir d’action du CDJ (conseil de déontologie journalistique) devrait être renforcé, la régulation par les pairs n’étant pas toujours suffisante. Le CDJ pourrait par exemple prévoir des sanctions de plus en plus fermes en cas de récidive au manquement à la déontologie (par exemple, faire payer les fautifs pour sponsoriser la mise en avant sur leurs comptes sociaux de la publication de l’avis du CDJ concernant une plainte jugée fondée à leur encontre).

Concernant les pratiques journalistiques, il y aurait également beaucoup à dire, mais nous ne développerons pas pour ne pas alourdir notre propos.

En conclusion, tant que la presse, en tout premier chef la presse subventionnée, ne cherchera pas l’exemplarité et ne mettra pas la rigueur, tant intellectuelle que méthodique, à l’honneur, elle ne pourra que très difficilement regagner la confiance des internautes, qui disposent d’une source virtuellement infinie de sites « d’information alternative » qu’ils choisissent souvent en fonction de leur adéquation avec leurs préjugés et opinions.

4. Rappeler les politiques à leurs propres responsabilités
La désinformation se base sur un contrat de confiance malmené, et c’est un euphémisme, entre les citoyens et les institutions traditionnelles, en particulier le monde politique. Le profond sentiment d’injustice sociale et le manque d’exemplarité de certains hommes politiques sont à la source du succès de bon nombre d’informations trompeuses, ainsi qu’une partie des raisons des processus de radicalisation. Ils entraînent une accumulation des frustrations et tant qu’ils perdureront, les symptômes qu’ils engendrent ne pourront pas disparaître.

5. Rappeler les réseaux sociaux à leurs propres responsabilités
1. Permettre aux internautes de choisir d’élargir leur bulle de filtre. Cet effet des bulles de filtre artificielles est néfaste parce qu’il renforce les effets redoutables du biais de confirmation, cette tendance naturelle à chercher à confirmer nos convictions. Si notre profil numérique permet aux algorithmes de ne nous présenter que ce qui va dans le sens de nos opinions et croyances, il est facile de modifier les paramètres et de leur demander d’ouvrir notre fil d’actualité à ce qui va à l’encontre de ces mêmes opinions et croyances. Cette possibilité de garder un contact numérique avec des personnes ayant des opinions différentes permettrait de limiter, tant que faire se peut, l’enfermement dans une sphère idéologique, premier pas vers le clivage et la radicalisation. Rappelons que c’est en étant en contact avec des points de vue différents qu’on évolue!

2. Permettre à l’internaute, qu’il soit inscrit sur le réseau ou non, d’avoir accès à son profil numérique et d’effacer ou modifier facilement les données le concernant.

3. Rendre les partages de documents (vidéos, articles) possibles uniquement si on a cliqué sur le lien et qu’on a consulté une bonne partie du dit document. Sachant que plus de la moitié des articles partagés ne sont même pas cliqués, cela permettrait de diminuer l’impact des articles aux titres sensationnalistes mais pas forcément représentatifs du contenu réel.

4. Pour les publications sponsorisées : afficher le prix payé par la page pour mettre en avant sa publication et rendre la mention « sponsorisé » plus visible (par exemple, en la surlignant en couleur).

5. Pour les pages connues pour faire de la désinformation, empêcher les administrateurs de censurer ou masquer les commentaires qui remettraient en question la fiabilité de leurs publications et les empêcher de bannir les utilisateurs à l’origine de ces commentaires, de façon à sauvegarder la possibilité d’un contre-discours.

6. Continuer à identifier et effacer les faux comptes, notamment ceux créés à l’aide d’intelligences artificielles.

Ecueils à éviter
1. Pas de censure : non seulement c’est totalement illusoire de penser pouvoir censurer une information alors que la technologie permet de contourner les velléités de censure, mais c’est également contre-productif au sein des populations touchées par la désinformation (en particulier les complotistes) et ne ferait au final que les conforter dans leurs croyances. Bel effet boomerang (« réactance ») en perspective, avec au final une consolidation des croyances initiales : « on veut nous faire taire », « ils ne veulent pas que le peuple sache », « ils ont peur », « pensée unique », « ministère de la vérité », etc.).
De plus, s’il est parfois facile de démontrer qu’une information est fake ( = fausse ET créée dans le but de tromper), nombreux sont les cas où la frontière entre le vrai et le faux est floue : dans ces cas-là, aucune instance ne sera perçue par tous comme étant légitime pour trancher.

2. Préservation de l’anonymat sur les réseaux sociaux : il s’agirait d’une restriction grave de nos libertés. Par ailleurs, en cas de problème sérieux les moyens d’agir existent déjà (faire éliminer le compte problématique par les opérateurs, voire identifier la personne derrière le compte).

 

Reste à espérer que ces consultations (de la Commission européenne auprès d’experts et du gouvernement fédéral belge auprès de sa population) permettront d’enfin débloquer des subsides nécessaires pour une éducation aux médias accessible à tous les citoyens, qui est encore une fois la seule solution. Bien évidemment, les résultats des investissements dans l’éducation ne se voient qu’à long terme : il faut donc une belle dose de courage politique et de foi en un renouveau démocratique. Croisons les doigts pour que cette problématique soit prise à bras le corps et non reléguée aux oubliettes une fois les élections passées…